
2022 NO.33
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Ningyo joruri
Histoires contées du théâtre de marionnettes
Les récits avec marionnettes ningyo joruri représentent, avec les théâtres no et kabuki, les trois principales formes japonaises traditionnelles d’arts de la scène. L’art de raconter des histoires avec des marionnettes remonte à l’époque d’Edo (1603-1868) et sa pratique se poursuit de nos jours.
Photos : Kurihara Osamu
Cette forme de théâtre de marionnettes réunit un récitant, appelé tayu, qui raconte l’histoire tandis qu’un shamisen (luth à trois cordes sans frette) dépeint musicalement l’atmosphère et que des marionnettes s’animent. Le genre ningyo joruri est un art de la scène collaboratif propre au Japon dans lequel trois interprètes agissent de concert pour conter l’histoire.
Les origines de ces récits avec marionnettes remontent aux katarimono, une forme de récital narratif dont les vers sont mis en musique. Cette forme artistique, accompagnée à l’origine par un biwa (luth piriforme) et des claquements d’éventails, se modifie avec l’introduction du shamisen au 16e siècle, et prend la forme de récits joruri chantés en musique. Le genre ningyo joruri voit quant à lui le jour au 17e siècle à Osaka, quand les récits joruri se conjuguent au théâtre de marionnettes. Si les spectacles de marionnettes sont susceptibles d’évoquer des histoires pour enfants, le genre ningyo joruri a pour sa part toujours été un divertissement s’adressant à un public adulte. Un grand nombre d’histoires se base sur des récits et des incidents historiques, ou encore des histoires mettant en scène les liens unissant parents et enfants, ou l’amour passionnés d’un homme et d’une femme, à l’image du chef-d’œuvre Sonezaki Shinju (« Double suicide amoureux à Sonezaki », écrit par Chikamatsu Monzaemon et dont la première représentation remonte à 1703), toujours très apprécié de nos jours.
Le genre ningyo joruri s’est finalement répandu de son berceau d’Osaka vers des villes de province dans tout l’Archipel. Ces spectacles ont rencontré un succès énorme, en particulier dans la préfecture de Tokushima, région du Shikoku, où de nombreuses troupes de théâtre de marionnettes se sont formées pendant l’époque d’Edo et des théâtres à ciel ouvert ont été érigés dans les enceintes de sanctuaires pour donner des représentations publiques. De nos jours, il existe encore plus de 20 troupes de théâtre de marionnettes, et des représentations ont lieu pour ainsi dire tous les jours au théâtre Awa Jurobei Yashiki dans la ville de Tokushima.
La pièce la plus représentée dans ce théâtre raconte l’histoire d’un conflit de famille, ayant eu lieu dans la région, et dépeint de manière poignante les liens unissant parent et enfant. Lors d’une scène au cours de laquelle mère et enfant sont à nouveau réunis, les épaules de la marionnette tremblent légèrement alors qu’elle porte une main à son visage de manière si réaliste que la marionnette semble pleurer pour de vrai. Un tel niveau de réalisme est rendu possible grâce à une technique unique, inégalée ailleurs dans le monde, qui nécessite trois personnes pour manipuler une marionnette. Chaque marionnettiste actionne une partie différente de la marionnette – la tête et la main droite, la main gauche, ou les jambes – permettant ainsi de reproduire des mouvements fluides et très semblables à ceux d’un être humain ainsi que des gestes et émotions très fins. Les intonations qu’apporte le tayu à son récit ainsi que les accents prolongés du shamisen ajoutent des notes encore plus fines. Conjugués, les voix, sonorités et mouvements permettent à l’univers de ce théâtre de marionnettes magnifique de se déployer.
Les représentations de ningyo joruri ont lieu dans la préfecture de Tokushima non seulement, mais aussi partout au Japon. Ce théâtre de marionnette conte des histoires mettant en scène la vie intérieure des personnages, pleines de subtilités, et rendent ainsi l’expérience incomparable.