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2020 NO.28
Tokyo : le summum des plaisirs gustatifs

La cuisine traditionnelle japonaise à travers les siècles
Les sushis de l’époque d’Edo étaient deux à trois fois plus gros que les sushis modernes. Le dessin montre des sushis préparés avec de la dorade, du shirauo, de l’alose tachetée, du chinchard, des crevettes et des mollusques anadara, ainsi que des sushis pressés oshizushi au maquereau mariné. (Propriété du magasin Yoshino Sushi)
La sauce de soja est un assaisonnement caractéristique de la cuisine japonaise préparé à partir de graines de soja. Elle accompagne les sushis, les sashimis et d’autres plats.
Unagi (anguille) préparée dans le style kabayaki, c'est-à-dire ouverte, montée en brochette, trempée dans une sauce sucrée à base de sauce de soja et de mirin, puis grillée.
L’afflux de produits locaux et le développement de la culture des repas au restaurant a conduit à l’émergence de quatre piliers de la cuisine japonaise moderne : les sushis, l’unagi (anguille d’eau douce) grillée avec une sauce sucrée kabayaki, les tempuras (des légumes et produits de la mer enrobés d’une pâte légère et frits) et les soba (nouilles au sarrasin). Un des autres facteurs qui ont contribué à l’apparition de ces plats est la popularisation d’assaisonnements fermentés, tels que la sauce de soja, le vinaigre et le mirin (un vin de riz doux pour la cuisine).
L’ancêtre du sushi, par exemple, était un plat appelé narezushi composé de poisson fermenté avec du sel et du riz afin de le conserver. Afin de réduire de temps nécessaire à la fermentation, les habitants d’Edo ont eu l’idée d’ajouter du vinaigre, un assaisonnement fermenté, au riz. Ce riz vinaigré servi avec une tranche de poisson frais dessus marque le commencement des sushis tels que nous les connaissons aujourd’hui. Comme il n’existait pas encore de moyen de garder la nourriture au frais à l’époque d’Edo, les chefs spécialisés dans les sushis trempaient le poisson dans le vinaigre, la sauce de soja ou d’autres assaisonnements afin de conserver sa fraîcheur et son goût. Ces chefs ont également inventé des moyens de supprimer l’odeur désagréable du poisson à l’aide de condiments tels que le wasabi ou le gingembre.
Les Japonais se nourrissent d’anguilles d’eau douce ou unagi depuis toujours, mais la méthode de préparation kabayaki, qui consiste à faire griller les anguilles après les avoir fait tremper dans une sauce sucrée à base de sauce de soja et de mirin, date de la fin de l'époque d'Edo. Avant cela, les anguilles étaient simplement grillées entières en brochettes. Avec la méthode kabayaki, la préparation des anguilles est devenue un art : les anguilles sont d’abord ouvertes, avant d’être cuites à la vapeur, trempées dans la sauce, et grillées. La cuisson à la vapeur permet de faire fondre l’excès de graisse et de rendre la chair tendre et moelleuse.
Les tempuras aussi ont gagné en popularité auprès des gens du commun à la fin de l'époque d'Edo, alors que les nouilles soba étaient déjà devenues une denrée incontournable un peu auparavant. Ces plats étaient généralement servis avec une soupe très savoureuse préparée avec un bouillon d’algues, de la sauce de soja et du mirin. On pense que cette soupe a largement contribué à rendre ces plats populaires.
Homme vendant la première bonite katsuo de la saison. À cette époque, les poissonniers se rendaient souvent de maison en maison pour vendre leur marchandise.
(Utagawa Kunisada, Unohana-zuki (« Le quatrième mois lunaire ») (Propriété du Musée d'art Seikado Bunko)
Le contexte historique a également joué un rôle important dans l’apparition et la popularisation de ces nouveaux plats. C’est en effet grâce au rapide développement de l’imprimerie à l’époque d’Edo que le savoir et les informations ont pu faire l’objet d’une diffusion sur un support imprimé. Jusque-là, ces informations étaient transmises oralement ou sur des manuscrits, ou étaient destinées à rester inconnues du plus grand nombre. Dès le début de l’époque d’Edo, des livres de cuisine pratiques ont été imprimés afin de compiler de manière systématique le savoir et les techniques liés à la préparation de ces plats, permettant ainsi leur popularisation.
Toutefois, les personnes nées et élevées à Edo, appelées Edokko, n’étaient pas les seules à pouvoir profiter du raffinement de la cuisine locale. En 1824, le guide Edo kaimono hitori annai présentant les magasins et les restaurants les plus populaires d’Edo a été publié dans la ville d’Osaka afin d’aider les visiteurs venant des autres régions du Japon à apprécier la cuisine de la capitale.
Un épisode mémorable illustre bien la passion des habitants d’Edo pour la cuisine. Traditionnellement, les Japonais cherchent à goûter le plus tôt possible les produits de chaque nouvelle saison. Cependant, à la fin de l’époque d’Edo, la passion pour la bonite à ventre rayé, poisson appelé katsuo, dont la saveur est associée au début de l’été, avait atteint un tel niveau que son prix augmenta de façon déraisonnable, si bien que les gens de l’époque commencèrent à utiliser l’expression « si ce n’est pas cher, ce n’est pas du katsuo ». Cela devint un phénomène social si important que même les personnes qui n’avaient pas les moyens de se payer un tel luxe tentèrent de suivre la mode et d’acheter du katsuo afin d’impressionner leur entourage.
La culture gastronomique qui s’est épanouie pendant l’époque d’Edo, principalement sous l’impulsion des gens du commun, a perduré à travers le temps jusqu’à aujourd’hui. Elle reste à notre époque toujours aussi passionnante et vivante, et inspire constamment aux cuisiniers de nouvelles idées et une plus grande créativité.
Harada Nobuo
Né en 1949, il travaille comme professeur à la faculté Asia 21 de l’université Kokushikan avec pour spécialités la culture japonaise et l’histoire des modes de vie et de la culture du Japon. Il est l’auteur de nombreux livres, notamment Edo no ryori-shi (« Histoire de la cuisine d’Edo ») et Rekishi no naka no kome to niku (« Le riz et la viande dans l’histoire »).