Reportage spécialSushi! Sushi! Sushi!
Lorsque l’on confectionne un nigiri-zushi, quelle est la meilleure manière de façonner la boulette de riz ? De l’avis sans appel d’un expert regretté : « La boulette de riz terminée doit être suffisamment lâche pour que la lumière d’une lampe puisse filtrer à travers les interstices des grains. Elle ne doit pas se briser si on la renverse, mais s’effondrer délicatement lors de la mise en bouche, au contact de la langue. »
Encore un équilibre délicat à atteindre : le sushi confectionné par les meilleurs chefs crée l’harmonie entre le riz et la garniture, combinaison qui, pour ainsi dire, fond dans la bouche.
Que dire de la forme de la boulette de riz ? Une vue de profil devrait révéler une base légèrement plus étroite que le sommet, les côtés s’évasant donc, comme un éventail. Si vous suivez à la lettre les instructions de notre expert cité précedemment, le riz prendra naturellement une forme d’aspect délicieux.
Parlons garniture. Il y a de cela bien longtemps, l’alose à gésier (Dorosoma cepedianum, en japonais kohada) était pêchée en grandes quantités dans la Baie d’Edo, mais on ne commença à s’y intéresser vraiment qu’à partir du moment où on l’employa pour garnir le sushi. L’alose devint même l’un des facteurs principaux de l’essor du Edo-mae zushi. Les professionnels du sushi en parlent en ces termes, vagues mais catégoriques : « Conservez-la dans la quantité de sel requise, marinez-la dans la quantité adéquate de vinaigre. » Il faut nettoyer le poisson et lever les filets, puis les saupoudrer de sel et les réserver. Plus tard, l’on éliminera le sel sous un filet d’eau, avant de rincer généreusement les filets à l’aide de vinaigre niban, riche des résidus du gras des aloses qui ont mariné dedans auparavant. Il s’agit alors d’entasser les filets puis de les presser à la main assez fermement pour éliminer tout excès de vinaigre. Il faut ensuite laisser reposer le poisson pour qu’il perde son odeur de “poisson cru ”. On fait à nouveau mariner les filets dans du vinaigre frais, avant de les placer durant toute une nuit ou plus le long de la paroi intérieure d’une terrine pour laisser s’égoutter le vinaigre. Les quantités de sel et de vinaigre à employer dépendent de l’état du poisson, que seul un chef expert est à même de déterminer d’un simple regard. Si l’alchimie s’opère, la succulence du poisson et l’équilibre entre le riz et la garniture vous persuaderont que l’évolution de l’alose au fond de l’océan sert un but et un seul – finir en sushi !
L’exemple ci-dessus montre bien que sushi ne signifie pas seulement “poisson cru sur riz”. Parfois, les fruits de mer sont cuits, comme c’est le cas pour un ingrédient de choix pour le sushi – l’anguille anago (Conger myriaster, congre japonais commun). Une fois nettoyées et fendues en deux, les anguilles sont placées dans un panier de bambou tressé hikizaru4, et le tout est plongé dans un bouillon, confectionné spécialement pour l’anago, assaisonné de saké, sucre et sauce de soja. La qualité du bouillon est d’une extrême importance : si la qualité est inférieure, les morceaux d’anguille risquent d’absorber trop d’assaisonnement et de perdre avec leur gras leur texture fondante et leur saveur délicate. Après usage, le bouillon est filtré et réfrigéré pour resservir presque à l’infini, et assaisonné de nouveau chaque fois. Lorsque les apprentis quittent leur patron pour ouvrir leur propre établissement de sushi, il est d’usage de leur donner un peu du bouillon pour l’utiliser dans leur cuisine, et les patrons d’aujourd’hui suivent encore souvent cette tradition. On peut noter aussi qu’au moment de servir l’anago, on le recouvre d’une sauce fabriquée en faisant longuement mijoter ce bouillon avec du sucre, de la sauce de soja et du mirin (un saké sucré), jusqu’à ce que le tout épaississe.
Une omelette particulière figure également au répertoire du Edo-mae zushi authentique. Les œufs battus sont additionnés d’ingrédients émincés qui varient selon le bon plaisir du chef. Parmi les plus courants, citons muscles de palourdes, crevettes, ou encore poisson blanc. Le résultat est assez différent d’une omelette roulée habituelle, ou dashi-maki : on dirait plutôt un castella5, à la fois dessert et sushi.
Impossible enfin de parler d’Edo-mae nigiri-zushi sans évoquer cette garniture chic qu’est l’oboro. Malheureusement, c’est de nos jours une rareté. Il s’agit de mélanger des crevettes émincées avec du sucre, du mirin et une pincée de sel et de faire revenir le tout à sec dans une poêle. On peut servir l’oboro sous une garniture de kisu (sillago) salé et vinaigré. Autrement, on le roule en nori-maki à l’aide de lanières de gourde kampyo6. Léger et sucré, l’oboro fond dans la bouche, offrant une saveur à la fois riche et subtile.
Le goût et la texture du riz sushi est déterminant pour la saveur finale du nigiri-zushi. C’est pourquoi il importe de le préparer avec soin. Le riz étuvé est placé dans un petit baquet de bois (en haut à gauche), puis l’on y ajoute un mélange spécial de vinaigre (en bas à gauche) unique à chaque établissement. La recette comprend vinaigre de riz, vinaigre de vin et sel. Le riz est remué à l’aide d’une spatule shamoji pour incorporer uniformément l’assaisonnement vinaigré et il importe de manier la spatule avec légèreté, pour éviter de rendre le riz trop collant.