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NIPPONIA No.24 15 mars 2003
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Vivre au Japon
Faire rire le monde…mais sans perdre l’avenir de vue
Patrick Harlan
Texte : Takahashi Hidemine
Photos : Akagi Koichi
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Cet “américain rigolo” est en train de mettre le monde des variétés sens dessus dessous. Patrick Harlan, de son état civil, devient “Pakkun” quand il monte sur les planches. Ce fantaisiste de manzai surfe en ce moment sur une formidable vague de popularité, de conserve avec son compère, un Japonais tout aussi désopilant, Yoshida Makoto, pour former le duo “Pakkun Makkun”.
Le genre manzai naquit vers la fin des années 1800, et n’a jamais cessé depuis de faire se plier son monde en quatre. Il s’agit d’un de ces nombreux arts parlés de la scène qui sont propres au Japon, consistant généralement en plaisanteries stupides échangées en scène sur un rythme étourdissant par deux comédiens avec adjonction de grosse farce tarte à la crème. Le duo est universel et immuable, comme en Europe le clown blanc versus l’Auguste, puisqu’à l’un revient le rôle de l’écervelé débitant des choses stupides, le boke, pour être repris et morigéné par l’autre, le tsukkomi (le rôle du clown blanc), avec éventuellement adjonction de solides tapes sur la tête.
Harlan est le boke. Il possède un bagou extraordinaire pour montrer du doigt et démonter “… toutes ces choses que les Japonais considèrent comme normales alors qu’elles amusent fort les étrangers.”
“Si vous administrez une claque sur la tête d’un Américain, il se fâche pour de bon. Ce que je ne manquai pas de faire. À telle enseigne que, lorsque j’étais nouveau venu dans le manzai, j’avais grand peine à me retenir pour ne pas retourner ses claques à mon compère une fois regagnée la loge. Cependant, si vous jouez le boke pendant un certain temps, vous commencez à réaliser que le rôle ne manque pas de profondeur. En fait, le boke prétend être complètement idiot, ce qui lui donne le droit de dire tout haut ce que les autres pensent tout bas, mais ne peuvent, ou n’osent exprimer. C’est le non inhibé par excellence.”
Harlan est né aux États-Unis, dans l’état du Colorado. Alors qu’il poursuivait des études de théologie comparée dans la prestigieuse Université de Harvard, il occupait également la fonction de chef des chœurs dans une chorale. Et un jour, vers la fin de ses études, sa chorale partit pour une tournée en Asie et vint se produire au Japon.
“Je fus profondément impressionné par l’accueil que nous réservaient les Japonais où que nous allions. Nous étions de simples étudiants, mais ils se coupaient toujours en quatre pour organiser des réceptions follement gaies en notre honneur. C’est ce qui me mit dans l’idée que ce serait bien là un pays où il ne me serait pas impossible de vivre.”
De longue date, Patrick méditait de devenir acteur, mais l’idée de monter à Hollywood pour tenter sa chance le terrorisait. En fait, comme beaucoup de jeunes, il se trouvait à l’époque à la croisée des chemins, se demandant bien ce que l’avenir lui tenait en réserve. Et finalement, il ne retourna jamais aux États-Unis, se fixa au Japon et commença comme beaucoup à enseigner l’anglais dans une école de conversation.
“Au début, j’avais toutes les peines du monde à saisir le fil ténu de toute la phraséologie vague du parler japonais. Il était très difficile de démêler dans un discours ce que mon interlocuteur désirait réellement que je fisse pour lui. Et puis, ô miracle, une fois que je me fus habitué à ce flou artistique et que je me trouvai capable de m’exprimer également de cette manière, que j’eus admis en somme que des gens s’exprimassent dans un registre autre que le mien, je réalisai combien cela pouvait être commode de rester dans le vague. Et aujourd’hui je ne voudrais pour rien au monde cesser de m’exprimer de la sorte. Tenez, par exemple, le mot yoroshiku. Si vous le dites dans une configuration mentale anglaise, ou française, il est clair que vous attendez un service précis. Mais si vous émettez votre yoroshiku dans un registre mental japonais, il reste à l’état de vague requête, du genre “je m’en remets à vous afin que vous fassiez pour le mieux…”, et par conséquent, si la personne sollicitée se révèle incapable de rendre le service escompté, cela n’entraîne ni chez l’un ni chez l’autre, nulle espèce de dépit.” Ce ne fut que lorsque Harlan commença à appréhender cet aspect curieux de la langue, que son japonais progressa à pas de géant.
Il ne fallut pas longtemps pour prendre sa résolution : réaliser son rêve. Il n’avait pu être acteur en anglais, il le serait en japonais. Il joignit donc une troupe de théâtre, bien que les pièces de théâtre et les “drames” télévisés du Japon n’emploient que rarement des personnages étrangers. Qu’à cela ne tienne, il se ferait comique de manzai.
“Je m’engageai dans cette voie burlesque dans le but de consolider mon japonais, mais une fois que je commençai à paraître sur le petit écran, j’acquis une espèce de célébrité qui me fit trouver infiniment plus drôle de jouer du manzai qu’autre chose.”
Mais une foule d’autres activités l’occupent également : reporter à la télévision, professeur de conversation anglaise, disc- jockey, écrire des livres…. Il vit dans un appartement à Tokyo. Son activité littéraire l’occupe tellement qu’il ne trouve même pas le temps de se reposer les jours de congé.
“Les choses ont pris une tournure franchement agitée, mais j’espère bien que tout ce que je fais maintenant me fera un acquis et qu’un jour ou l’autre je me retrouverai acteur de cinéma. Bien sûr, il faudra que ce soit un film avec un premier rôle taillé sur mesure pour un type dans mon genre!”
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Quelques livres d’introduction à l’anglais pour un lectorat japonais, cosignés par Harlan. Plusieurs pages expliquent la grammaire anglaise en termes extrêmement simples, puisant dans l’expérience de Harlan comme professeur d’anglais. Harlan prétend que ces livres peuvent aider les lecteurs à améliorer leur anglais suffisamment pour manifester leur sens de l’humour dans cette langue.
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Le duo de comiques de manzai “Pakkun-Makkun”, qui a en ce moment le vent en poupe. Le public adore rire aux plaisanteries spirituelles et décoiffantes fusant à jet continu entre Patrick Harlan (droite) et Yoshida Makoto. (Crédit photographique : HAV MERCY)
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