Cet américain rigolo est en train de mettre le monde des variétés sens dessus dessous. Patrick Harlan, de son état civil, devient Pakkun quand il monte sur les planches. Ce fantaisiste de manzai surfe en ce moment sur une formidable vague de popularité, de conserve avec son compère, un Japonais tout aussi désopilant, Yoshida Makoto, pour former le duo Pakkun Makkun.
Le genre manzai naquit vers la fin des années 1800, et na jamais cessé depuis de faire se plier son monde en quatre. Il sagit dun de ces nombreux arts parlés de la scène qui sont propres au Japon, consistant généralement en plaisanteries stupides échangées en scène sur un rythme étourdissant par deux comédiens avec adjonction de grosse farce tarte à la crème. Le duo est universel et immuable, comme en Europe le clown blanc versus lAuguste, puisquà lun revient le rôle de lécervelé débitant des choses stupides, le boke, pour être repris et morigéné par lautre, le tsukkomi (le rôle du clown blanc), avec éventuellement adjonction de solides tapes sur la tête.
Harlan est le boke. Il possède un bagou extraordinaire pour montrer du doigt et démonter
toutes ces choses que les Japonais considèrent comme normales alors quelles amusent fort les étrangers.
Si vous administrez une claque sur la tête dun Américain, il se fâche pour de bon. Ce que je ne manquai pas de faire. À telle enseigne que, lorsque jétais nouveau venu dans le manzai, javais grand peine à me retenir pour ne pas retourner ses claques à mon compère une fois regagnée la loge. Cependant, si vous jouez le boke pendant un certain temps, vous commencez à réaliser que le rôle ne manque pas de profondeur. En fait, le boke prétend être complètement idiot, ce qui lui donne le droit de dire tout haut ce que les autres pensent tout bas, mais ne peuvent, ou nosent exprimer. Cest le non inhibé par excellence.
Harlan est né aux États-Unis, dans létat du Colorado. Alors quil poursuivait des études de théologie comparée dans la prestigieuse Université de Harvard, il occupait également la fonction de chef des churs dans une chorale. Et un jour, vers la fin de ses études, sa chorale partit pour une tournée en Asie et vint se produire au Japon.
Je fus profondément impressionné par laccueil que nous réservaient les Japonais où que nous allions. Nous étions de simples étudiants, mais ils se coupaient toujours en quatre pour organiser des réceptions follement gaies en notre honneur. Cest ce qui me mit dans lidée que ce serait bien là un pays où il ne me serait pas impossible de vivre.
De longue date, Patrick méditait de devenir acteur, mais lidée de monter à Hollywood pour tenter sa chance le terrorisait. En fait, comme beaucoup de jeunes, il se trouvait à lépoque à la croisée des chemins, se demandant bien ce que lavenir lui tenait en réserve. Et finalement, il ne retourna jamais aux États-Unis, se fixa au Japon et commença comme beaucoup à enseigner langlais dans une école de conversation.
Au début, javais toutes les peines du monde à saisir le fil ténu de toute la phraséologie vague du parler japonais. Il était très difficile de démêler dans un discours ce que mon interlocuteur désirait réellement que je fisse pour lui. Et puis, ô miracle, une fois que je me fus habitué à ce flou artistique et que je me trouvai capable de mexprimer également de cette manière, que jeus admis en somme que des gens sexprimassent dans un registre autre que le mien, je réalisai combien cela pouvait être commode de rester dans le vague. Et aujourdhui je ne voudrais pour rien au monde cesser de mexprimer de la sorte. Tenez, par exemple, le mot yoroshiku. Si vous le dites dans une configuration mentale anglaise, ou française, il est clair que vous attendez un service précis. Mais si vous émettez votre yoroshiku dans un registre mental japonais, il reste à létat de vague requête, du genre je men remets à vous afin que vous fassiez pour le mieux
, et par conséquent, si la personne sollicitée se révèle incapable de rendre le service escompté, cela nentraîne ni chez lun ni chez lautre, nulle espèce de dépit. Ce ne fut que lorsque Harlan commença à appréhender cet aspect curieux de la langue, que son japonais progressa à pas de géant.
Il ne fallut pas longtemps pour prendre sa résolution : réaliser son rêve. Il navait pu être acteur en anglais, il le serait en japonais. Il joignit donc une troupe de théâtre, bien que les pièces de théâtre et les drames télévisés du Japon nemploient que rarement des personnages étrangers. Quà cela ne tienne, il se ferait comique de manzai.
Je mengageai dans cette voie burlesque dans le but de consolider mon japonais, mais une fois que je commençai à paraître sur le petit écran, jacquis une espèce de célébrité qui me fit trouver infiniment plus drôle de jouer du manzai quautre chose.
Mais une foule dautres activités loccupent également : reporter à la télévision, professeur de conversation anglaise, disc- jockey, écrire des livres
. Il vit dans un appartement à Tokyo. Son activité littéraire loccupe tellement quil ne trouve même pas le temps de se reposer les jours de congé.
Les choses ont pris une tournure franchement agitée, mais jespère bien que tout ce que je fais maintenant me fera un acquis et quun jour ou lautre je me retrouverai acteur de cinéma. Bien sûr, il faudra que ce soit un film avec un premier rôle taillé sur mesure pour un type dans mon genre!
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Quelques livres dintroduction à langlais pour un lectorat japonais, cosignés par Harlan. Plusieurs pages expliquent la grammaire anglaise en termes extrêmement simples, puisant dans lexpérience de Harlan comme professeur danglais. Harlan prétend que ces livres peuvent aider les lecteurs à améliorer leur anglais suffisamment pour manifester leur sens de lhumour dans cette langue.
Le duo de comiques de manzai Pakkun-Makkun, qui a en ce moment le vent en poupe. Le public adore rire aux plaisanteries spirituelles et décoiffantes fusant à jet continu entre Patrick Harlan (droite) et Yoshida Makoto. (Crédit photographique : HAV MERCY)
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