Le Lac Biwa, le plus vaste plan deau du Japon,
est situé pratiquement au centre du pays. Sur ses berges
orientales a grandi la ville de Hikone. Sur la berge opposée
sélève une chaîne montagneuse, et au-delà
sétend la ville de Kyoto. Lemplacement unique
de Hikone en a fait un centre important pour les transports lacustres,
et depuis le XVIIe siècle, une garnison militaire en même
temps quun centre politique de poids.
Site le plus important de cette ville, le Château de Hikone
est aujourdhui connu dans tout le Japon. Sa construction commencée
en 1603 se poursuivit pendant vingt ans. Le donjon senlevant
sur le sommet de la colline a toujours été regardé
comme le symbole de la cité. Les bâtiments nétant
jamais très hauts dans la période de Edo, lorsque
ce château séleva sur la colline, les humbles
sujets qui apercevaient en permanence ce donjon altier ont dû
trouver que cétait là un spectacle fort impressionnant.
Bien sûr, en ces temps féodaux, seule une élite
était admise à franchir le seuil du château,
mais aujourdhui les portes sont naturellement ouvertes à
tous. Une fois franchie la porte monumentale qui constitue lentrée
principale du château, vous aborderez une longue volée
descaliers de pierre. Vous ne manquerez pas déprouver
combien est pénible son gravissement, car chaque marche est
irrégulière de hauteur comme de profondeur. Jai
dailleurs pu observer maints touristes ahanants et soufflants,
jeunes pourtant, sarrêter fréquemment pour reprendre
du souffle, tandis que le guide leur expliquait que ...cest
intentionnellement que ces marches avaient été faites
aussi incommodes, pour casser les jambes et rendre laccès
plus difficile. À supposer, voyez-vous, que les soldats ennemis
arrivent jusquici, ils ne pourront pas sélancer
dune traite jusquen haut, ce qui laissera le temps de
les tirer comme des lapins. À mesure que lon
peine sur ces marches inamicales, lon se rend compte combien
limpératif qui avait présidé à
la construction de ce château était sa défense.
Après avoir dû reprendre mon souffle moi-même,
je parvins tout de même au donjon. Cétait superbe!
Des toitures aux tuiles noires, des murailles blanches, des ornementations
rehaussées dor... Ce donjon fascine tout le monde tant
il dégage de beauté et de puissance. Et la vue de
la ville sétendant au pied est elle aussi impressionnante,
avec cet océan de toits se pressant autour de leur château.
Au Japon, une ville forte, cest-à-dire grandie à
lombre dun Château, est appelée joka-machi
(ville-sous-château). En fait, là où château
pousse, pousse obligatoirement une joka-machi.
Hikone na évidemment pas échappé à
la règle. Mais allons plutôt examiner comment cette
ville fut agencée.
Le donjon (tenshukaku) est évidemment
le cr du château, que trois fossés profonds encerclent
pour tenir lassaillant en respect. Dans lespace compris
entre le fossé intérieur et le fossé central
vivaient le seigneur féodal et sa famille, son grand majordome
ainsi que ses hommes liges les plus importants. Centre du gouvernement
local, ce quartier regroupait les demeures somptueuses, pour le
lieu et lépoque, appartenant aux familles qui avaient
du poids dans la province. Les samouraïs de haute volée
vivaient dans lespace compris entre les fossés central
et extérieur. Franchi le fossé extérieur, lon
arrivait aux modestes demeures de la piétaille, des pousse-cailloux,
appelés ashigaru (littéralement
: les pieds-légers, et pour cause, ils navaient
pratiquement pas déquipement). Ces cercles de défense
concentriques protégeaient le château et la ville dune
attaque de lennemi. Les roturiers, le peuple, vivaient et
travaillaient également dans cette zone comprise entre les
fossés central et extérieur, mais aussi au-delà
du fossé extérieur.
Lensemble ainsi constitué de la ville autour de son
château offrait donc un exemple précoce darchitecture
et durbanisme, puisquil se muait en une véritable
forteresse sil fallait livrer bataille à un assaillant.
Linsistance mise sur les impératifs de défense
est manifeste lorsquon flâne dans la section ancienne
de Hikone pour examiner tout à loisir le tracé des
rues. À première vue, le canevas paraît assez
régulier, mais en fait il nen est rien, car aussitôt
quon décide de gagner un point précis, lon
remarque que les ruelles zigzaguent, se décalent sournoisement
aux croisements, et meurent en culs de sac, ce qui rend la progression
problématique au non initié. Surtout sil est pressé, ce quétait toujours
lassaillant. Pour réduire encore ses chances de succès,
les venelles sont des coupe-gorge dont létroitesse
gêne toujours le repérage. Si des assaillants de jadis
avaient daventure réussi une percée jusquau
cr de la ville, il y a fort à parier quils eussent
couru en tous sens comme des dératés, sous une pluie
de traits, en complète débandade. Le labyrinthe de
ruelles égare dans un premier temps le promeneur disposant
de tout son temps, à moins quil ne connaisse la ville
qui devient alors sa ville.
Les villes fortes sont fascinantes à plus dun égard.
Ainsi, au Moyen-âge, les artisans se regroupaient par métier.
Ce qui explique que dans tout le Japon ces villes fortes auront
tendance, à linstar des villes européennes dailleurs,
à avoir des quartiers aux appellations semblables, telles
que daiku-machi (quartier des charpentiers), shokunin-machi (quartier
des artisans), et kajiya-machi (quartier des ferronniers). Hikone
a aussi des appellations anciennes pour ses divers quartiers, puisquon
y trouve encore un aburaya-machi, où se regroupaient les
marchands dhuile (autant pour les lampes que pour la cuisine)
et un konya-machi, où travaillaient les ongles-bleus,
les teinturiers.
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