Reportage spécialL’univers rose bonbon du Kawaii
Le gagne-pain des magazines de mode et des créateurs consiste à inventer mille façons originales pour capter l’attention des jeunes femmes. Dès que ces jeunes personnes trouvent quelque chose qui leur sied et s’exclament « kawaii ! » (en chœur de préférence), c’en est fait : une nouvelle mode est née.
Rédaction : Uchiyama Ikue
Photos par Kawada Masahiro
La mode automne-hiver fit sensation dans le quartier de Hiroo à Tokyo en décembre 2006. C’était une explosion d’étudiantes vêtues de pulls tricotés roses portés sur des camisoles bordées de dentelle, de minijupes ultra-féminines, de manteaux blancs à col de fourrure moelleuse, de pantacourts combinés à de hautes bottes, et autres lumineuses trouvailles. Difficile, devant tel spectacle, de ne pas s’exclamer « Kawaii, kawaii ! », manière de dire « Adorable ! Tout simplement exquis ! » Et exquises elles étaient, avec leur look en même temps sophistiqué et innocent. L’effet obtenu était à la fois tiré à quatre épingles et authentiquement féminin. A la question, mais où diantre pêchaient-elles leurs idées, elles répondaient toutes d’une même voix : « Mais dans CanCam bien sûr ! »
CanCam, c’est le magazine pour jeunes femmes le plus lu au Japon. Publié par Shogakukan Inc., chaque numéro se vend à environ 650,000 exemplaires. Moyenne d’âge du lectorat : 23 ans. Le contenu de CanCam en terme de mode n’est pourtant pas si différent de ses compétiteurs. Alors, qu’est-ce qui fait son succès ?
Le secret du succès de CanCam, ce sont avant tout ses modèles stars. Et en particulier, Ebihara Yuri, en couverture de chaque numéro. Ebi-chan, comme on la surnomme, est l’un des modèles exclusifs du magazine depuis 2003. Elle se diversifie actuellement dans la publicité et les séries télé. Les vêtements portés par Ebi-chan dans CanCam s’arrachent des boutiques à peine le magazine sorti dans les kiosques, et se trouvent souvent en rupture de stock en un temps record (c’est le “Ebi sellout phenomenon”).
Le rédacteur en chef de CanCam, Onishi Yutaka, a son explication concernant la popularité de Ebi-chan : « Tous les gens qui la voient s’accordent à dire qu’elle est mignonne, charmante – en un mot, kawaii. Les femmes la trouvent kawaii, et les hommes aussi. Pour réussir, un modèle doit plaire aux deux sexes. »
Tous les modèles exclusifs de CanCam ont le look de la fille d’à côté. Bien sûr, leurs proportions sont idéales, mais leur beauté n’est pas inaccessible au commun des mortels. La lectrice de base s’indentifie à elles précisément parce que l’idéal qu’elles représentent semble accessible. Si d’aventure l’un des modèles quitte le magazine, ses fans continueront de suivre sa carrière de près, et nombreuses celles qui se rendront à sa “cérémonie d’adieu à CanCam”.
L’autre secret de réussite du magazine, c’est l’importance donnée à l’opinion des lectrices. « Nous maintenons une communication à double sens avec notre lectorat – c’est cette étroite collaboration qui fait de notre magazine ce qu’il est, » affirme Onishi.
Un moyen évident, dit-il, consiste à faire remplir des questionnaires par les lectrices. Leur avis donne souvent lieu à des améliorations. CanCam écoute aussi les suggestions des lectrices lors des négociations avec des fabricants d’habillement en vue de créer une ligne exclusive pour le magazine. Les lectrices peuvent dire aux créateurs ce qu’elles ont envie de porter, maintenant ou demain pour aller à la fac ou au bureau – en d’autres mots, de vrais vêtements pour la vraie vie. L’interaction entre lectrices et magazine aboutit à la création de vêtements concrets.