Web Japan > NIPPONIA No.36 > French > Special Feature*
NIPPONIA
NIPPONIA No. 36 15 Mars, 2006
TOP

Reportage spécial*
La nourriture : un angle particulier sur l’histoire culturelle du Japon
Écrit par Ishige Naomichi, Professeur honoraire au
Musée national d’Ethnologie
Collaboration : Restaurant Aoyagi
japanese

Le riz en point de mire
Dans le Japon ancien, la culture du riz en rizière irriguée débuta aux alentours du Ve siècle avant Jésus-Christ. Peu à peu, la société toute entière s’organisa autour de l’agriculture, le riz en constituant à la fois la production principale et l’aliment de base.
Dans l’ensemble de l’Asie de l’Est et du Sud-Est, le riz constitue traditionnellement l’élément central du repas, tout les autres mets jouant un rôle secondaire. Le repas japonais ne fait pas exception à la règle. Cuit à la vapeur, le riz nature passe de la marmite aux bols des convives sans autre fioriture. Le poisson et les autres plats d’accompagnement ont beau se hisser sur la pointe des pieds et tenter de mettre en avant leurs saveurs variées, ils ne sont que des faire-valoirs, des apéritifs ouvrant la voie à toujours plus de riz.
En japonais, “prendre le petit déjeuner (ou le dîner, ou le souper)” se dit go-han o taberu, c’est-à-dire, littéralement, “manger du riz.” Les mots go-han (riz) et shokuji (repas) sont exactement synonymes et utilisés d’ailleurs de manière parfaitement interchangeable.
Autrefois, les pauvres gens, ou les fermiers vivant dans ces régions montagneuses où le riz est dur à venir, se trouvaient obligés au quotidien de mélanger leur précieux riz avec de l’orge ou d’autres céréales de qualité inférieure pour arriver à une portion correcte. Mais lors de festivals ou d’occasions formelles, même les miséreux trouvaient le moyen de déguster des mochi ou du riz bien blanc sans devoir le “salir” avec d’autres grains.
On fabrique le mochi en pilonnant vigoureusement du riz glutineux cuit dans un mortier de bois à l’aide d’un énorme maillet, en poussant de grands ahanements et sous le regard ébahi des petits enfants. Les Japonais de naguère, semblables en cela à leurs voisins asiatiques, croyaient dur comme fer que les esprits du riz habitaient dans ses grains. C’est pourquoi le riz sacré, pilonné en mochi, constituait et constitue toujours un mets particulier pour les festivals. Encore aujourd’hui, pour le Nouvel An, le festival le plus important de l’année, on mange en famille du mochi flottant dans le bouillon clair zoni, accompagné de fruits de mer et de légumes finement ciselés et cuits dans des sauces sucrées.
Le saké est fait de riz, et à ce titre, occupe également une place d’honneur dans toutes les fêtes. Les festivals japonais sont l’occasion de déguster riz et mochi, et de boire du saké – en d’autres termes, d’apprécier pleinement toutes les bénédictions offertes par la plante sacrée.
On peut donc conclure que le repas traditionnel japonais a pour but premier de mettre en avant le meilleur du riz et du saké.
japanese


Rizières en terrasse par une belle journée d’été. Les plants de riz en pleine croissance se balancent gracieusement dans le vent. L’automne venu, ils se pareront de teintes dorées, la tête penchée et lourde des grains attendant la moisson. Photo prise dans le district d’Ogi, à Otsu, Préfecture de Shiga.
(Photo : Imamori Mitsuhiko)
japanese

Pas de mammifère au menu
Un panorama historique des habitudes alimentaires japonaises ne peut passer sous silence les nombreux siècles qui ont vu l’interdiction de consommer la viande des quadrupèdes. Le premier édit en ce sens fut publié en l’an 675, soit un peu plus d’un siècle après l’arrivée du Bouddhisme dans l’archipel.
Durant les VIIe et VIIIe siècles, chaque empereur accédant au trône commençait par publier un édit interdisant la consommation de viande. En effet, selon les canons du Bouddhisme, toute vie animale est sacrée. Le fait que ce genre d’édit ait dû être renouvelé régulièrement montre à quel point c’était pour beaucoup une règle difficile à suivre. Mais finalement l’habitude prit peu à peu, et aux alentours du Xe siècle, quasiment plus personne ne mangeait de viande.
En Chine et en Corée, c’était surtout le clergé bouddhiste qui subissait le plus strictement cette interdiction. Mais au Japon, même les gens ordinaires ne mangeaient pas de viande non plus, pas seulement à cause du Bouddhisme, mais aussi parce que déjà les croyances autochtones shinto considéraient cela comme une pratique impure.
Cependant, ces tabous concernaient la viande des mammifères terrestres, et non marins. La viande de baleine, “un gros poisson” comme un autre, n’était donc pas concernée, de même que les oiseaux sauvages. Poulets et coqs, en revanche, considérés comme les messagers des dieux shinto, demeurèrent interdits jusqu’au XVe siècle, ainsi d’ailleurs que les œufs.
Les indigènes Aïnous, qui peuplent le Hokkaido dans le Japon septentrional, dépendaient largement pour leur survie alimentaire des ressources de la nature, animaux, oiseaux et plantes sauvages ; la viande de daim et d’ours constituait une part importante de leur régime. A l’opposé de l’archipel, tout au sud, le Royaume de Ryukyu dans les îles d’Okinawa constituait une juridiction différente du reste du Japon, et l’interdiction de manger de la viande ne s’y appliqua pas. Les insulaires de ce royaume élevaient porcs, chêvres et autres animaux pour leur viande. Ailleurs encore, dans les régions montagneuses et sauvages du Japon, les pêcheurs de poisson de rivière chassaient aussi les grands mammifères sauvages qu’ils rencontraient dans les bois, pour leur fourrure ou leurs propriétés médicinales, et bien sûr, mangeaient leur chair. Il existait même une pratique à la limite de la magie, le kusuri-gui, qui consistait à consommer la chair d’animaux sauvages dans le but de guérir des maladies ou d’acquérir une force particulière. Mais en dépit de tout cela, les animaux n’étaient jamais élevés pour être mangés (si l’on excepte le cas de Ryukyu), et la consommation de viande demeura extrêmement réduite au Japon durant des siècles.
Semblables en cela à leurs voisins Chinois ou Coréens, les Japonais ne buvaient pas non plus le lait des animaux domestiques et la fabrication de produits laitiers ne commença que très tard. Il n’est pas étonnant qu’en revanche, la préparation du poisson, finalement la seule chair permise, se soit raffinée au point de prétendre au rang des beaux-arts.
japanese


BACKNEXT

NIPPONIA
TOP
   Reportage spécial*    Vivre au Japon    Voyager au Japon