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NIPPONIA No.33 15 juin, 2005
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Passent les séismes,
demeurent les pagodes !
Sagesse du fond des âges
Le Japon est célèbre pour ses antiques bâtisses entièrement de bois. Certaines d’entre elles, que nous pourrions appeler des “gratte-ciels” avant la lettre, ne sont autres que les pagodes à cinq étages élevées dans les grands temples de Kyoto et Nara. À l’origine, monuments reliquaires bouddhiques de l'Inde, les stûpas furent édifiés pour y recevoir les reliques du Bouddha. Cette coutume d’élever des stûpas se transmit, via la Chine et la Péninsule coréenne, au Japon. Et c’est là donc que, il y a de cela plus de mille trois cents ans, sa forme évolua vers la pagode à cinq étages si distinctive du paysage nippon. Si les séismes passent, avec une fréquence prodigieuse au Japon, les pagodes à cinq étages, elles, demeurent imperturbables de grâce, aujourd’hui comme il y a des siècles. Quel est donc l’étrange secret qui protège la pagode des furies sismiques ?
Texte : Ueda Atsushi, architecte Crédits photographiques : Sekai Bunka Photo
llustrations : Ueda Atsushi, et Association d’Études de la Pagode à Cinq Étages (Five-Story Pagoda Research Association)
(extraites de sa publication : Nihon no Mokuto Kozo - Éléments structuraux des tours japonaises en bois)
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La pagode à cinq étages du Temple Horyu-ji. Certaines de ces bâtisses sont les plus anciennes structures en bois au monde. Ayant essuyé maints séismes et ouragans sans varier d’un iota, elles se dressent toujours telles qu’elles furent construites il y a treize siècles.
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La pagode à cinq étages est assurément le plus curieux montage architectural qui soit — le Japon essuie bien des séismes, parfois de forts violents, mais l’histoire ne fait pratiquement pas mention de pagode culbutée. Ainsi, le Grand Séisme Hanshin-Awaji de 1995 mit à mal nombre de grands bâtiments modernes, mais pas une des treize pagodes à trois étages dans le périmètre de la Préfecture de Hyogo ne fut endommagée. Alors ? Quels sont donc les secrets protégeant les pagodes à trois ou cinq étages des redoutables tremblements de terre ?
Premier secret : le matériau. Chaque pièce structurale de la pagode à cinq étages est faite en bois. Lorsqu’une force est appliquée sur le bois, il plie, geint, se déforme, mais ne rompt point aisément. Que la force cesse son action, et le bois revient à sa forme primitive. Sa flexibilité lui permet donc d’absorber les contraintes sismiques.
Deuxième secret : la structure venant compléter la flexibilité du bois. Les bois de structure sont assemblés sans le moindre clou, tout s’emboîte et s’imbrique l’un dans l’autre par une technique de savants embrèvements, tenons, abouts, languettes et mortaises. Donc, si le sol commence à s’ébrouer, toutes les surfaces des bois prises dans ces réseaux de joints se tordent et frottent les unes contre les autres. Ceci joue déjà un rôle de frein à la propagation de l’énergie sismique vers le haut de la tour. La pagode à cinq étages compte ainsi environ un millier de gros joints mortaisés, ce qui rend l’entière structure pratiquement aussi docile et flexible que du konnyaku (voir Note 1).
Troisième secret : la pagode est une structure en couches superposées. Essayez donc de faire se tenir debout un long pain de konnyaku. Jamais il ne se tiendra droit. Tandis que si vous empilez cinq cubes de konnyaku de volumes décroissant, ils tiennent. Le français utilise le terme de “pagode à cinq étages”, le japonais le terme go-ju no to (“tour en cinq morceaux”), qui est plus précis, dès lors que la pagode n’est autre, structurellement, qu’un empilement de cinq, ou trois, boîtes, un peu comme le jubako (voir Note 2) traditionnel, ce jeu de boîtes de bois laqué s’empilant par emboîtement. Sauf qu’ici les “boîtes” en question sont solidarisées entre elles — mais non arrimées — par tenons et mortaises. Que tremble le sol, et chacune de ces boîtes oscillera lentement et indépendamment de ses voisines.
Quatrième secret : l’effet oscillant. Chaque niveau de boîte permet une certaine ampleur d’oscillation douce. Mais si l’oscillation s’intensifie et s’éloigne trop du centre, les boîtes tomberont. Il y a bien longtemps, un maître charpentier, expert reconnu dans les techniques de construction de l’époque, put observer le comportement d’une pagode à cinq étages dans un séisme majeur. Et voici ce qu’il vit : lorsque l’oscillation portait la “boîte” formant l’étage inférieur vers la gauche, celle au-dessus oscillait vers la droite, et celle encore au-dessus, à nouveau vers la gauche, et ainsi de suite. La tour entière exécutait une espèce de danse du serpent ! (Voir Figure 1.) Ces oscillations, dotées de leur propre force de rappel à la position primitive, n’étaient pas sans rappeler celles du yajirobe, ce jouet artisanal traditionnel consistant en étages de dimensions différentes oscillant dans des directions opposées les uns des autres avant de retrouver la verticale au repos. (Voir Figure 2.)
Note 1 : Konnyaku, substance mucilagineuse tirée de l’amidon du tubercule de konjak (famille des Araceae) constituant un aliment ferme mais gélatineux très apprécié.
Note 2 : Jubako, service de boîtes de bois laquées servant à présenter et transporter la nourriture, et pouvant s’encastrer l’une dans l’autre, le fond de l’une devenant couvercle de celle du dessous.
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Figure 1. Pagode à cinq étages en phase de danse du serpent
Exemple d’oscillation latérale avec rappel au cours d’un séisme. La structure en boîte du dessous se trouve déportée vers la gauche, tandis que celle au-dessus part vers la droite, celle au-dessus vers la gauche, et ainsi de suite, telle une personne dans l’exécution d’une espèce de danse du serpent.
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Figure 2. Le principe du jouet à balancier yajirobe
La miraculeuse stabilité du balancier est due au fait que les poids aux deux extrémités sont beaucoup plus bas que leur point d’appui. Ceux-ci exercent des forces égales depuis les côtés opposés du point d’appui, ce qui maintient le bras en équilibre. Si le poids gauche est poussé vers le bas, les distances horizontales depuis le point d’appui jusqu’aux deux poids deviennent inégales, (voir (1) et (2)). Dès lors que la distance (2) est à présent plus longue, le poids de droite exercera davantage de force descendante, ce qui rétablira l’équilibre du balancier. Et ainsi, chaque déplacement vertical des poids se soldera finalement par un retour à l’horizontal de l’ensemble.
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