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NIPPONIA No.29 15 juin, 2004
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![]() Kagami Sen-emon de son nom de scène, Cornec Pierreyues vit le jour à Angoulême, en France. À vingt-cinq ans il se retrouve bateleur, jeune mais déjà chevronné, se produisant avec une troupe de jongleurs attachés à perpétuer les traditions de ce genre éclectique quest le Daikagura dEdo.
Le Daikagura dEdo est une forme très ancienne de spectacle populaire comportant des tours de passe-passe et de jonglerie, comme on en trouve un peu dans tous les pays. Lorigine en remonte à une des formes de kagura, qui sont des chants et danses rituels exécutés aux sanctuaires shintoïstes pour les grands festivals. Avec le temps, le genre se transforma pour se focaliser sur un fonds de tours de cascadeurs et de jongleurs que lon se transmet de génération en génération.
Les artistes lancent dans les airs une quantité prodigieuse de bâtons de jonglage quils maintiennent en vol avec une aisance époustouflante, envoient rouler des balles en orbite sur des ombrelles de papier qui elles-mêmes tournent telles des galaxies, ou encore, se plantant des tiges de bois en équilibre sur le menton, ils y empilent des planchettes de bois avec des bols à thé par dessus et
la salle émerveillée par une telle succession de prodiges dapesanteur, éclate spontanément en applaudissements frénétiques et déferlants.
Le Daikagura dEdo présente un charme et une beauté très particuliers. Les kimonos, la gestuelle des mains, la musique, les plaisanteries fusant dru, tous ces éléments sharmonisent pour fasciner le public. En fait cest comme un petit spectacle de cirque, précise Cornec Pierreyues.
Dès sa plus tendre enfance, bateleurs et jongleurs des rues captivaient littéralement Cornec, si bien quà dix-huit ans il entra à lAcadémie parisienne des arts du cirque. Son domaine serait la jonglerie, cétait clair. Lorsquil ne sexerce pas à quelque nouveau tour, il dévore les ouvrages traitant de son art, ses formes anciennes et modernes, dans ses versions occidentales autant quorientales. Ce fut ainsi quil apprit lexistence du Daikagura dEdo.
Jétais tombé un jour sur une vieille estampe représentant un spectacle de Daikagura dEdo avec un accessoire appelé hanakago. Il était joliment décoré et je me suis dit que jaimerais bien en voir un en vrai.
Ce fut alors quil se lia avec une condisciple Japonaise étudiante à lAcadémie des arts du cirque, et ils partirent tous deux pour le Japon. Il avait vingt ans. À peine lavion posé quil se précipitait au théâtre pour voir une troupe en action. Devenu spectateur assidu, il se fit remarquer, et demanda à la troupe de pouvoir travailler avec elle.
Il a au travail une puissance de concentration prodigieuse, si bien quil apprend tout très vite, nous assure Kagami Kosen, son Mentor et également directeur de la troupe. Il progressait à une vitesse prodigieuse, et soudain, il était là, le premier étranger à sêtre jamais produit en Daikagura dEdo, un gars très populaire qui tient parfaitement les planches.
Fort heureusement, le public japonais est généralement bon enfant. Sils remarquent que jai fait une petite bourde, ils applaudissent dautant plus fort pour me remettre en selle. Mais il va sans dire que cest justement parce quils sont bien composés à mon égard que de mon côté je dois faire le maximum pour que tout se passe dans les règles de lart.
Pierreyues vit seul dans son petit appartement de Tokyo. Il ne manque jamais les séances dentraînement bihebdomadaires, outre quil pratique quotidiennement chez lui ou dans un parc. Si je reste un jour sans mentraîner, ma technique en pâtit.
Sa troupe se produit dans des lieux extrêmement divers, des écoles et bars de style japonais aux maisons de retraite et soirées organisées par les sociétés pour leurs employés. Aussi lespace dévolution imparti est-il parfois très exigu, et comme notre homme fait son mètre quatre-vingts, il lui arrive de devoir sagenouiller pour certains tours que ses collègues réalisent debout. Avant de venir au Japon, il nétait jamais arrivé à Pierreyues de devoir garder la position seiza (assis sur les talons). Mais ce ne fut jamais quune chose de plus parmi tant dautres à apprendre.
Le jonglage du Daikagura dEdo est totalement différent de tout ce que jai pu apprendre en France. Ici, comme dans tous les arts de scène ou martiaux du Japon, léquilibre se prend à la taille, le reste devant rester totalement décontracté. Ce qui ma valu pas mal de crampes dans le dos et le cou.
Autre défi, et de taille celui-là également, lapprentissage du japonais. Il est dusage que lartiste sadresse à son public en saupoudrant de propos plaisants le déroulement dune jonglerie particulièrement périlleuse.
Lambiance, latmosphère que lartiste dégage en scène est capitale, plus que la technique peut-être. Je veux donc être à la fois capable de me projeter vers mon public, et de prendre mon plaisir avec les collègues se produisant avec moi sur la scène. Et pour cela, mappuyer sur ma seule technique personnelle nest jamais suffisant. Je dois maméliorer, et dans un même temps madapter afin de pouvoir me régler sur lévolution de chacun de mes partenaires. Faute de quoi, on risque de trahir lessence la plus authentique du spectacle Daikagura dEdo. En fait, toute la question se ramène à ceci : chacun doit se trouver en parfaite harmonie avec lensemble.
Pierreyues caresse un rêve : pouvoir présenter un jour le Daikagura dEdo à lEurope. Cest une des raisons qui lont décidé à sinscrire lan prochain dans une école de langue japonaise, pour apprendre enfin à bien maîtriser la langue sur scène.
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