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NIPPONIA No. 36 15 Mars, 2006
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« Il y en a qui ont de la chance ! »
C’est ce que tous mes amis ont dit lorsqu’ils ont appris que je me rendais à Kanazawa.
Ils ont raison, bien sûr – cette ville a tant de choses à offrir, je suis en effet bien chanceux.
Kanazawa est située vers le milieu de la côte occidentale de l’Ile de Honshu, sur la Mer du Japon. Actuellement capitale de la Préfecture d’Ishikawa, Kanazawa était naguère une place forte appartenant au domaine de Kaga. Le premier seigneur de la lignée, Maeda Toshiie, était un chef de guerre qui se trouva du côté des vainqueurs durant la période de guerre civile que connut le pays. En 1583, il s’installa au château de Kanazawa, et treize générations de Maeda y habitèrent après lui. La famille Maeda fut un mécène important pour l’industrie, en particulier l’artisanat : poterie, porcelaine, laque, textiles teints et tissés, et autres savoirs-faire devinrent ainsi partie intégrante d’une culture locale extrêmement dynamique et classée parmi les plus florissantes du pays.
La mer toute proche, les champs et les montagnes offrant leurs délicieux trésors, les arts raffinés de la table prirent également leur essor à l’ombre du castel de Kanazawa, siège de l’autorité féodale. Je me rendis donc à Kanazawa pour en goûter les deux richesses : son excellente nourriture, et ses boutiques et ateliers d’artisanat.
J’y arrivai début novembre, alors que la ville se préparait à entrer dans la rigoureuse saison hivernale.
A peine débarqué du train à la Gare JR de Kanazawa, je me précipitai au marché Omi-cho Ichiba, l’endroit entre tous où se procurer des aliments locaux d’une fraîcheur irréprochable. Le marché comporte plus de 170 étals serrés les uns contre les autres et débordants de produits, depuis le poisson frais jusqu’aux articles de ménage en passant par les légumes ou encore les fruits. Dès le matin, se pressait là une grande foule, ménagères, chefs de restaurants et touristes.
La voix d’un marchand se fit entendre : « On casse les prix, venez vite chercher du crabe zuwai-gani… La saison c’est maintenant ou jamais ! » A la lueur d’une ampoule nue, le crabe fraîchement bouilli brillait, rouge comme du corail. Alors que je humais son parfum terriblement tentant, le vendeur s’adressa à moi dans le savoureux dialecte local: « Allez mon p’tit gars, goûte-moi ça, tu m’en diras des nouvelles ! » Je mordis dans le morceau qu’il me tendait. A chaque coup de dent, la chair semblait devenir de plus en plus sucrée, sa saveur mêlée à des arômes iodés qui évoquaient le grand large. Les mots me manquent pour mieux décrire ce délice, ah, tout bonnement incroyable. L’étal regorgeait d’autres superbes produits de la mer, sérioles, morues, crevettes douces, oursins, tous produits pourtant bien difficiles à pêcher en hiver alors que la mer se fait dure. L’étal voisin, des légumes, proposait une masse colorée de spécialités locales peu courantes : radis gensuke daikon, racines de lotus de Kaga, et une plante feuillue appelée kinjiso.
Avec cette abondance et cette variété de produits venus tant de la mer que des champs et des collines, je suppose qu’il est naturel que la cuisine locale, Kaga ryori, soit si renommée. « Mais un bon restaurant, c’est plus que de la bonne nourriture », affirme Koshizawa Keita, sous-directeur du Suginoi, un restaurant traditionnel de premier ordre situé sur la berge de la rivière Sai.
Sur ma table au Suginoi atterrirent ce soir-là : un amuse-gueule fait des entrailles et de la chair du concombre de mer ; du sushi comprenant entre autres de la sériole salée et du navet saumuré dans un riz malté ; un coquillage bai cuit dans un bouillon parfumé à la sauce de soja ; du poisson grillé ; des plats mitonnés ; et tant d’autres délices encore. Tout était préparé avec soin et finesse, et tout était succulent, sans parler de la présentation si parfaite que la contemplation retint un instant mes baguettes.
Ce restaurant offre en effet plus que simplement une excellente cuisine. Le bâtiment est absolument charmant, dans le plus pur style japonais traditionnel, et la vue du jardin depuis les tatamis de la salle à manger est presque aussi délicieuse que le contenu des assiettes. Comme le dit Koshizawa : « Nous voulons que le client se sente aussi détendu que chez lui, tout en goûtant une nourriture qu’il ne pourrait jamais rêver à la maison. »
Les aliments sont servis sur de légères laques de Kaga ou de riches et colorées porcelaines de Kutani, choisies parmi des services harmonieux, qui semblent rendre chaque mets plus délectable encore. On dit, et je veux bien le croire, que la cuisine de Kaga n’est jamais plus délicieuse que lorsqu’elle est servie sur de si jolis plats.
Afin de voir de plus près comment l’on fait cette porcelaine, je rendis visite à la fabrique Kutani Kosen, situé dans le quartier de No-machi. C’est la seule fabrique de la ville où chaque étape de la fabrication de la porcelaine – du tournage de la pièce à partir d’un bloc informe de glaise, jusqu’à la glaçure polychrome, en passant par la première cuisson du biscuit – se fait entièrement à la main.
Toshioka Koichiro, cinquième génération de patrons de la fabrique, arrêta un instant son tour de potier pour lever les yeux et m’expliquer : « La porcelaine de Kutani est unique dans son emploi vigoureux de cinq couleurs : rouge, jaune, vert, violet et bleu marine. »
Après avoir étudié l’art de la céramique à l’université, il est revenu dans le giron familial il y a près de deux ans, pour perpétuer la flamme du four créé et entretenu par ses ancêtres.
Mes deux dernières visites furent consacrées au Château de Kanazawa, symbole de la ville, et au jardin Kenroku-en, classé parmi les trois plus célèbres jardins traditionnels du Japon.
Le château a subi bien des dommages à travers le temps, par la foudre et par l’incendie, aussi n’en demeure-t-il pas grand-chose, mais les restes trouvent encore le moyen d’être admirables, comme des murs de pierre magnifiques ou encore la Porte Ishikawa, reconstruite à la fin du XVIIIe siècle. Les jardins du château sont un parc ouvert à tous les citoyens de la ville.
Une fois passée la Porte Ishikawa, je me trouvai dans le célèbre jardin. Le Kenroku-en fut élaboré durant presque 170 ans, à partir de la fin du XVIIe siècle, et avala bien des ressources tirées du trésor des seigneurs successifs. De petits ruisseaux murmurent de-ci de-là, de charmantes collinettes dominent un paysage au relief délicatement travaillé, tandis que de grands pins et d’énormes lanternes de pierre soulignent les nombreux points de vue du lieu. Lorsque je m’y trouvais, les cordes Yuki-tsuri étaient déjà installées pour protéger les branches des arbres du poids de la neige à venir. Chaque année, ces jeux de cordages sont un peu le cliché hivernal favori du lieu. Suspendues depuis le haut de mâts surplombant les arbres pour en supporter les nombreuses branches, les entrelacs géométriques qu’elles dessinent sont d’une beauté particulière. Encore une évidence démontrant, si besoin était, à quel point le sens esthétique des bonnes gens de Kanazawa est développé.
Kanazawa se préparait bel et bien pour le long hiver, et ses neiges qui bientôt viendraient colorer le paysage d’une tonalité toute différente.
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