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NIPPONIA No.21 15 Juin 2002
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Reportage spécial*
Sans les produits de la mer la vie au Japon est impensable
Servis crus en sashimi, mitonnés en marmites de terre, grillés au feu de bois, ou en friture comme tempura — les toques japonaises ont plus d’une manière d’accommoder poissons et coquillages. Quasi quotidiennement des produits de la mer apparaissent sur la table familiale. C’est que les Japonais adorent le poisson, certainement autant que leurs ancêtres il y a des siècles. Cet article propose un tour d’horizon de ce bel appétit vorace pour les nourritures marines.
Texte : Kawai Tomoyasu, océanologue
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Raie (à gauche) et thon (à droite). Deux dessins apparaissant dans le Baien Gyohin Zusei, un livre d’histoire naturelle du XIXe siècle dû à Mori Baien. Propriété de la Bibliothèque nationale de la Diète.
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Les plus gros piscivores au monde?
Un graphique de la consommation annuelle de produits maritimes par tête d’habitant pour chaque pays dans le monde, paru dans le Livre Blanc sur les pêcheries 1999 publié par le Gouvernement japonais, donnait le Japon en quatrième place. Les quatre pays les plus consommateurs étaient :
Maldives
153,4 kg
par habitant/an
Islande
91,1 kg
par habitant/an
Kiribati
78,6 kg
par habitant/an
Japon
70,6 kg
par habitant/an
L’on voit donc que, dans une seule année, un Japonais moyen consomme un peu plus que son propre poids en nourritures marines. Mais ce qui m’a le plus étonné c’était de voir que la consommation des Maldives était plus du double de celle du Japon. (Les Maldives étant comme on sait ce pays constitué de quelque mille deux cents îles éclatées dans l’Océan Indien, renommé ô combien pour ses sites touristiques paradisiaques.)
Le lecteur sera sans doute surpris de trouver le Japon au quatrième rang pour la consommation par tête d’habitant dans le monde, étant donné que sa population est infiniment plus élevée que celle des trois premiers pays! Qu’on en juge : 260.000 habitants environ pour les Maldives, 270.000 pour l’Islande, et 80.000 pour Kiribati. Une population de 200.000 à 300.000 habitants équivaut plus au moins à la population vivant dans l’arrondissement tokyoïte de Shinjuku, soit une partie seulement de la métropole de Tokyo. Il est vrai que si nous examinions d’autres régions du Japon couvrant une superficie similaire, on trouverait sans doute des communautés dans lesquelles la consommation des produits de la mer équivaut au double de la moyenne nationale.
Quoi qu’il en soit, la population du Japon dépassant largement les cent millions d’âmes, la consommation de ce pays par tête d’habitant doit certainement être la plus grosse du monde pour une population de cette importance.
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Illustration d’un asahigani (crabe-grenouille) relevée dans le Mokaikikan, un carnet de dessins naturalistes du XVIIIe siècle représentant les mammifères, poissons et autres créatures vivantes de ce monde. Propriété du Musée Eisei-Bunko.
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Les produits de la mer dans les temps anciens
Le dernier âge glaciaire prenait fin il y a plus de dix mille ans. Il fut suivi d’un réchauffement général de la planète au cours de la période interglaciaire. Ce réchauffement éleva progressivement le niveau des mers, comme cela pourrait bien être également le cas en ce moment. Toutefois, les températures relativement chaudes à cette époque-là ne peuvent assurément pas être imputées à des activités humaines qui auraient libéré toujours davantage de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.
Au Japon, l’on attribue généralement une durée de dix mille ans à la période Jomon (ce qui, à l’échelle mondiale devrait correspondre en fait à la période d’évolution du Mésolithique au Néolithique) que l’on fait remonter à douze ou treize mille ans. Au cours d’une partie de cette période, les mers s’élevèrent et submergèrent les zones basses du Japon, phénomène appelé Jomon kaishin. Lorsque le niveau des eaux était au maximum, il y a environ six mille ans, l’incursion de la Baie de Tokyo devait s’avancer jusqu’à 65 km dans les terres, jusqu’à la ville de Tatebayashi, par exemple, dans la Préfecture de Gumma. Le niveau des eaux était alors supérieur de plusieurs mètres à ce qu’il est actuellement, tandis que la moyenne des températures est estimée alors à 3°C de plus que ce que nous connaissons actuellement.
À mesure que progressait le réchauffement de la Terre et que s’élevait le niveau des mers, les habitants des îles japonaises furent bon gré mal gré confrontés à la mer qui venait à eux, ce qui les faisait se rassembler et vivre davantage sur les rivages. L’homme de Jomon utilisait donc la pirogue façonnée dans un tronc évidé, le maruki-bune, qui le mena probablement assez rapidement à s’aventurer au large pour des expéditions de pêche.
Ainsi, un tertre de coquillages de la Préfecture de Kanagawa, limitrophe de Tokyo, qui passe pour être le plus ancien “monument” du genre connu, a livré des hameçons et des harpons. Le Natsushima Kaizuka, c’est son nom, montre qu’il y a neuf mille ans, au bas mot, les Japonais façonnaient déjà de tels outils pour capturer le poisson. Ces tertres ne renferment pas seulement des coquillages des rivages proches mais également les arêtes appartenant à une faune océanique très diversifiée, tels que thon, bonite, daurade, pagelle, castagnole, brème de mer, serran, pagre, anguille de mer, congre, raie, etc…
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Un isaki (Pristipoma japonicum), que l’on retrouve dans le Gyofu, un livre de planches illustrées dessinées par Kurimoto Tanshu, médecin du XIXe siècle. Propriété de la Bibliothèque nationale de la Diète.
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Ces anciens tertres de coquillages prouvent, bien sûr, que les Japonais consommaient les produits de la mer en ces temps les plus reculés, mais je pense qu’ils nous apprennent davantage encore. En effet, si les tertres de coquillages se retrouvent bien le long des littoraux du monde entier, ceux du Japon livrent une plus grande variété de débris de poissons et de coquillages. Cela signifierait-il que l’homme jomonien fut le premier dans le monde à apprécier particulièrement le goût du poisson? Je suis enclin à croire qu’il avait déjà contracté un goût très particulier pour la consommation des nourritures marines crues, ou pratiquement crues — c’est le commencement de ce mets de luxe qu’est le sashimi, aux qualités mondialement reconnues.
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