La Péninsule de Kunisaki se projette dans la Mer
intérieure de Seto depuis le nord-est de lîle de Kyushu.
On laperçoit au terme de quatre-vingt-dix minutes de vol
de Tokyo en descendant vers lOuest.
La ligne côtière dessine un bel arc de cercle
de quinze kilomètres de rayon. Le Mont Futago sélève
près du centre de sa circonférence, doù sélancent
en un curieux rayonnement de roue de bicyclette des lignes de crêtes
et de vallées. Toutes ces vallées sont tapissées
de rizières entourant de vieilles fermes, tandis que dans la montagne
se dressent des rocs aux formes étranges. Voilà bien une
topographie à rendre les transports difficiles. Une incommodité
dont il nous faut cependant être reconnaissants quand on aura compris
quici le Japon dautrefois attend toujours quon le vienne
découvrir.
Depuis les temps les plus reculés la Péninsule
passe pour être un Paradis bouddhique, à preuve, cette abondance
de vestiges de culture bouddhique qui constituent le trait le plus remarquable
de Kunisaki. Dès le VIIIe. siècle lon se mit à
édifier de nombreux temples dans les montagnes avoisinantes, et
lorsque le bouddhisme se trouvait à son apogée, vers le
XIIe siècle, lon dénombrait quelque deux mille moines
et bonzes vivant leur foi à Kunisaki dans la plus grande ferveur.
Demeurent aujourdhui différents types de statues de pierre
à vocation religieuse, attestant combien, où que ce fût
dans la Péninsule, le bouddhisme a constitué une part importante
de la vie des gens. Pour le plus grand bonheur du touriste daujourdhui,
qui sémerveillera dune rencontre avec quelque statue
de pierre du Bienheureux en paisible contemplation, ou avec des bas et
hauts-reliefs sculptés dans les parois rocheuses verticales.
Deux de ces hauts-reliefs, dans la partie sud-ouest
de la Péninsule sont appelés kumano
magaibutsu . Sculptés à même la falaise
rocheuse non loin du Temple Taizo-ji, ils représentent
le Fudo Myo-o ( Acalanâtha ou
Roi de Sagesse, juge des âmes et gardien des
Enfers) et Dainichi Nyorai ( Mahâvairoçana
, le Bouddha Cosmique). Le Fudo Myo-o fait huit mètres
de haut, cest une des plus grandes effigies bouddhiques
de pierre du Japon. Si personne ne prétendra que le ciseau
du sculpteur est dune facture exquise, il gagne en force
ce quil perd en finesse. Les experts nous assurent que cette
imagerie retient beaucoup des canons esthétiques de lAsie
continentale, indiquant les indéniables influences culturelles
de la Péninsule Coréenne.
Ici, le bouddhisme ancien continue de vivre, attendant
de vous prendre au dépourvu au détour du chemin, et dans
dautres lieux encore. On notera encore que la Grande Salle du Temple
Fuki-ji présente un intérêt historique incontestable,
puisque cest la plus ancienne structure de bois dans Kyushu. De
même que la Salle Maki Odo, qui abrite neuf statues bouddhiques,
toutes versées aux Patrimoines Culturels Importants.
Mais Kunisaki est également, dans cette
Préfecture de Oita, le pays du stade de football appelé
Big Eye . Par conséquent
il sera lunique lieu privilégié dans Kyushu
où dérouleront les matchs de la Coupe du Monde FIFA
2002. Laccès aux joutes footballistiques en Kyushu
se fera par lAéroport de Oita, sur la cte Est
de la Péninsule de Kunisaki, doù un aèroglisseur
emmènera les voyageurs au port de la ville de Oita. Mais
je suggérerais que les supporters qui se rendent à
la Coupe du Monde intègrent également dans leur
itinéraire Kunisaki et la ville de Beppu.
En route vers Beppu, vous passerez par une vieille ville
grandie au pied dun château appelée Kitsuki, lieu rêvé
de flânerie sil en fut : anciennes demeures des familles de
samourais salignant sagement côte à côte sur
les collines, habitations et boutiques des négociants ségrenant
le long de lancienne chaussée. Une reconstitution historique
de ce que pouvait être un décor urbain à la période
de Edo (1603-1867). Plus bas au sud-ouest, on trouvera une autre ville
aux origines semblables, grandie à lombre du château.
Il sagit de Hiji-machi, réputée pour la succulence
de ses plies, appelées ici shiroshita
, car pêchées au pied du châteaué, vu que
le château se dresse au bord de la mer. Ces filets de plie sont,
dit-on, uniques, tant par leur épaisseur que par la finesse et
la fermeté de la chair.
Si dici lon descend au Sud, lon
arrive rapidement à Beppu avec quelques-unes des meilleures
sources thermales du Japon. La ville possède huit grandes
stations thermales, collectivement désignées de
lappellation Beppu Hatto, avec des théories dauberges
dans le style japonais le plus pur. En fait il existe une grande
variété de sources thermales : des vastes chaudrons
boueux où viennent crever dinquiétantes bulles
(mais excellentes cependant pour la santé), des piscines
de sables brûlants, des étangs fumants et bouillonnants,
des geysers, et bien des surprises telluriques encore.
Vous ne résisterez certainement pas à lenvie
de vous détendre dans un bain deau thermale bien chaude,
et je men voudrais de ne pas vous conseiller de faire votre Tournée
des Enfers, très populaire, et on en revient toujours. Imaginez,
une suite de sources thermales, littéralement infernales autant
que bizarres. Certaines sifflent par des évents comme des serpents
de la mythologie grecque, dautres sont des gouffres boueux, dautres
encore, geysers ou puits artésiens, se réveillent à
intervalles réguliers. Dans une de ces stations thermales, appelée
à juste titre la Mer dEnfer, le sulfate de fer
teint les eaux dun vert profond. Une autre encore, lÉtang
Sanglant : cest loxyde de fer qui teint la boue en un
beau rouge sang shakespearien. À lEnfer de lHomme
Chauve, ce sont de grosses bulles de vase brûlante qui viennent
crever à la surface. Faire le Tour des Enfers donne un aperçu
saisissant de limmensité des énergies telluriques
convulsant encore et toujours les entrailles de notre vieille planète.
Si vous flânez dans Beppu, vous rencontrerez
souvent des gens portant sous le bras la petite bassine rose ou
bleue en plastique que tout le monde utilise pour sasperger
deau avant dentrer dans les bains publics et pour
se rincer ensuite. Ce sont les bonnes gens du lieu en route vers
leur bain public favori. Ce nest pas le choix qui manque,
et ce ne sont certes pas les seuls touristes qui jouissent des
bienfaits des sources thermales. Dans un pays où le bain
est une activité de détente (comme le bain romain)
sinon une religion, pratiquement tous les foyers possèdent
leur bain privé, mais pas à Beppu. Avec une telle
abondance de sources thermales, on préfère se rendre
au bain public, plus grand, plus chaud, plus économique
et tellement plus convivial.
Lénergie géothermique trouve dautres
applications qualimenter les piscines pour les bains. Elle chauffe
les bâtiments et les serres, et est utilisée pour laquaculture
et autres applications encore.
Kagawa Ryuhei, qui travaille à la station thermale
Myoban, explique : Moi, je ne rate jamais un seul jour de bain.
Je peux être aussi mort de fatigue quun bois mort, jen
ressors frais comme un gardon! Il est plus que probable que les
touristes ressentent eux aussi les effets positifs de ces eaux formidables,
et ce, dès leur première trempette dans nos eaux minérales.
En résumé, notre périple nous a emmenés
du pays du Bouddha, dans la Péninsule de Kunisaki avec ses statues
religieuses de pierre, au monde infernal de Beppu vomissant,
éructant vapeurs, bulles, boues colorées et vapeurs fusantes.
Quiconque se prélasse dans la quiétude champêtre de
Kunisaki ne manquera pas de trouver que la ville bruissante de Beppu représente
un autre monde. Mais, ces deux endroits possèdent un point commun
: ils sont habités par des gens pas du tout exigeants qui savent
encore prendre le temps de vivre et pour qui il nest pas dor
plus fin que le temps qui sécoule.
Au cours de mes voyages, jai demandé à
un homme qui passait par là de me définir ce qui faisait
de Oita un endroit si formidable à vivre. Après sêtre
longuement gratté locciput, il sourit un peu timide : Cest,
ma foi, que les gens de Oita savent se détendre, et gardent lesprit
ouvert. Je crois quil nen faut pas plus!
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