NIPPONIA No. 47 15 décembre 2008

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Vivre au Japon

Jongleries et mathématiques, à la rencontre du monde

Peter Frankl

Rédigé par Takahashi Hidemine   Photos par Akagi Koichi

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Pendant ses congés, Frankl pratique le jonglage au rez-de-chaussée de sa demeure. « Je ne peux pas me relâcher. Si je le fais, mes réflexes ne suivent plus. »

C’est un mathématicien de renommée mondiale, et aussi un artiste de rue. A un moment, vous le trouverez penché sur un problème mathématique complexe comprenant des combinaisons de chiffres compliquées, et l’instant d’après, le voici qui lance en l’air ses massues de jongleur. Qu’est-ce-que c’est que cette histoire ?

Peter Frankl sort tellement de l’ordinaire qu’il est bien difficile de lui mettre une étiquette, sinon pour dire qu’il est aujourd’hui l’un des plus connus des résidents étrangers au Japon.

« Les mathématiques sont un plaisir solitaire – vous êtes assis là, tout seul, à déméler des concepts que peu de gens sont à même de comprendre. Jongler, c’est exactement l’opposé – on attire les foules et tout le monde se paie du bon temps. C’est par ces deux choses parfaitement dissemblables que je trouve l’équilibre de ma vie, » explique-t-il dans un japonais parfait.

Frankl est originaire de Kaposvár en Hongrie. Ses parents, d’origine juive, sont rescapés des camps de concentration nazis et ont tout perdu pendant la guerre, y compris plusieurs membres de leur famille. Cette triste expérience faisait souvent dire à son père : « Les seules choses que tu ne peux perdre, mon fils, ce sont les connaissances qui sont dans ta tête et les sentiments qui sont dans ton cœur. »

Les mathématiques correspondaient à cet esprit frugal : on n’a besoin que d’un crayon et d’un papier. Stimulé par son père, Frankl était capable d’effectuer des multiplications à deux chiffres dès l’âge de quatre ans, ce qui fit de lui une célébrité locale. A l’école élémentaire, il obtint le premier prix d’une compétition nationale d’arithmétique. Plus tard, alors qu’il était au lycée, il participa aux Olympiades Internationales de Mathématiques et remporta la médaille d’or. Il ne fallut pas longtemps dès lors pour qu’il soit admis sur recommendation, sans aucune autre formalité, à la faculté de sciences d’une université nationale hongroise.

Pour se distraire de toutes ses études, il se mit au jonglage. Il progressa tant et si bien qu’une fois diplômé de l’université, il s’inscrivit à l’école nationale du cirque. Il y apprit le funambulisme et l’art des clowns et obtint une license gouvernementale officielle d’artiste de rue.

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Peter Frankl parle 11 langues et a publié environ 200 articles mathématiques.

Mathématiques et spectacle de rue – équipé de ce double bagage, Frankl partit découvrir le monde. « Mes voyages étaient une quête de liberté. »

Il arriva au Japon en 1982, à l’âge de 29 ans. « Jusque-là, dans chaque pays visité, on me faisait sentir plus ou moins que j’étais un étranger, parce que je suis Juif. Mais à peine avais-je posé le pied au Japon que je ressentis les chose différemment – Les gens m’ont accueilli chaleureusement, avec un peu de curiosité peut-être, mais les Japonais ont beaucoup de considération pour autrui : ils font attention à vous. Je me suis senti comme chez moi. »

Frankl a passé une vingtaine d’années au Japon. Durant cette période, il a aidé des lycéens japonais à représenter leur pays aux Olympiades Internationales de Mathématiques, il a rédigé divers manuels de mathématiques pour tous les âges, et enfin a initié de nombreux Japonais aux arcanes de l’art mathématique.

Il a visité plus de 80 pays et cette expérience nourrit des conférences qu’il donne sur les relations avec d’autres cultures. Son audience est certaine de le voir jongler aussi – c’est sa manière de toucher les gens à un autre niveau, de leur faire passer du bon temps.

En mai 2008, il s’est associé au Programme de Volontaires de Culture Japonaise parrainé par le ministère japonais des Affaires étrangères. (Ce programme consiste à envoyer des volontaires du Japon dans quatre pays d’Europe Centrale et du sud-est, dont la Hongrie, pour y présenter la culture et la langue japonaises). Lors de conférences liées au programme, il a évoqué sa propre expérience de façon simple, pour permettre aux auditeurs de s’identifier à ce qu’il avait à dire. Il dit qu’il a voulu mettre en avant tout l’intérêt de ce programme.

« Le Japon est admiré pour sa force économique, mais moi, ce que j’admire le plus, ce sont les gens. Si l’animé et le manga sont si connus à travers le monde et de si bonne qualité, c’est avant tout, j’en suis persuadé, parce que les Japonais qui les produisent sont, comme la plupart des gens d’ici, sérieux et sincères. Ils veulent faire les choses bien. Voilà le genre de choses que je dis lorsque je parle du Japon à des gens d’autres pays. »

Pour Frankl, combiner maths et jongleries, c’est un peu comme les samurai du Japon d’autrefois, qui pouvaient associer la Voie du guerrier avec l’étude de la littérature classique. Les gens ont besoin d’étudier, mais ils ont besoin de s’amuser aussi. A l’écouter, l’on est amené à considérer différemment le Japon et sa culture, une nouvelle perspective bien utile non seulement aux personnes venues d’autres pays, mais aussi, pourquoi pas, pour les Japonais eux-mêmes.


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