Il y a quelque chose de magique à se trouver à laffût du changement de saison, surtout lorsque chacune propose un visage de la nature très différent. Et cest un plaisir particulier de marquer la venue de chacune des saisons par des célébrations traditionnelles et par un changement dans le style de vie. Très allongé, lArchipel nippon chevauche plusieurs parallèles. Les habitants de lextrême Nord, par exemple de la région de Konsen Genya au Hokkaido, ont des rapports avec la saison bien différents de leurs compatriotes des îles subtropicales Yaeyama. Et pourtant, coutumes et conceptions de la vie montrent que la grande majorité des Japonais ont en commun un sens aigu des humeurs changeantes de la nature.
Les cerisiers en fleurs célèbrent le printemps
Poussant dans pratiquement toutes les régions de lArchipel, le cerisier fleurit au printemps. Certains individus ont plus de mille ans dâge, dautres, plus modestes, sont tout juste assez vieux pour prétendre à une première floraison. En japonais, la fleur de cerisier se dit simplement hana ; il semble superflu de préciser de quelle espèce de fleur il sagit, et cela montre à quel point est immense lamour porté par le Japonais au cerisier et à cette fleur quil considère comme le parangon de la floraison. Par tout lArchipel, les curs battent un peu plus vite lorsque commencent à gonfler les bourgeons. Car comme toute attente, celle-là également semblera infinie. Et avec quels soupirs daise naccueille-t-on pas le premier déploiement de pétales ! Nous avons dailleurs deux mots bien précis pour ces moments privilégiés : hatsu-hana (première fleur), ou hatsu-zakura (première floraison de sakura, ou cerisier). Bientôt, ce seront deux dixièmes des fleurs qui seront ouvertes (nibu-zaki), ensuite trois dixièmes (sanbu-zaki). Lorsque les floraisons sont proches de leur plein épanouissement (mankai), lon bat le rappel de la famille, des amis, des collègues, pour se préparer à de grands pique-niques sous les branches croulantes de fleurs. Chacun apporte quelque chose à la fête. Des siècles durant, les boîtes repas pour le mire-fleurs (ou hana-mi) se sont appelées hana-mi bento, et hana-mi zaké le saké que lon y buvait.
La femme va souvent méditer gravement devant sa garde-robe avant de se décider pour la robe ou le kimono quelle portera pour se rendre à une petite fête de hanami. Si le vêtement traditionnel japonais est un peu passé de mode, le souci détudier soigneusement sa mise est toujours vivace. La tenue portée ce jour-là a aussi son appellation, cest le hana-goromo, de même que léventuel voyage vers un site de floraison renommé : sakura-gari ou hana-gari. Ces deux derniers vocables se référant à la grande excitation de cette journée, puisque gari signifie donner la chasse.
Aux modes variés sur lesquels lon peut profiter des cerisiers en fleurs, correspond un arsenal de mots aux sonorités caressantes à loreille japonaise pour évoquer dans sa pensée les moments de la journée, ou de la nuit, durant lesquels on déploie son activité dadmirer les fleurs. Ainsi, le soleil levant vibrant et chatoyant merveilleusement sur les pétales nous vaut un asa-zakura (floraisons matinales). Tandis que les rayons du ponant créent des atmosphères radicalement différentes englobées dans le yu-zakura (floraisons vespérales) à ne pas confondre avec le proche, mais tout aussi différent yo-zakura (floraisons nocturnes) toutes imprégnées de cette mystérieuse et ineffable notion de yugen, tout ce qui est paisible, secret, subtil, profond. Ici, pour faire ressortir tout le potentiel dramatique de la beauté éphémère des fleurs plongées dans lombre, lon allumera non loin des arbres des braseros de bûchettes pétillantes, les hana kagari, qui joindront à la splendeur des efflorescences la magie des flammes dansantes. Autre sublime instant de la nature.
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