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NIPPONIA No.29 15 juin, 2004
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Bestiaire du Japon
Les îles de la libellule
Texte : Konishi Masayasu, entomologiste   Photo : Moriue Nobuo
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La libellule rouge d’automne, akiakane, au repos. De l’été à l’automne la libellule est l’hôte des rizières, et autres lieux bucoliques.
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Le Japonais passe pour le plus fervent amoureux d’insectes au monde. Et ses préférés sont précisément les libellules, les lucioles éclairant les nuits d’été et les grillons sonorisant puissamment les belles nuits d’automne.
À l’état larvaire, la libellule se développe dans les pièces d’eau, innombrables au Japon, chaque rizière, rivière ou ruisseau en constituant une où se développer. On ne dénombre pas moins de 190 variétés de libellules au Japon, et leur population est elle-même impressionnante. L’histoire nous apprend que depuis les temps les plus anciens, les Japonais n’ont jamais rien aimé tant qu’observer ces très gracieux archiptères.
Les preuves les plus anciennes de cet attachement sont des représentations figurant sur des dotaku, ces cloches cérémonielles en bronze fondues entre le milieu et la fin de la période Yayoi (env. IIe siècle av.J.-C. au IIIe siècle ap. J.-C.). Certaines de ces dotaku, qui pouvaient se suspendre, étaient décorées de motifs assez primitifs de libellules, mantes religieuses et araignées. Autant d’insectes et arachnides bénéfiques pour l’homme puisqu’ils faisaient bombance d’insectes prédateurs des précieux plantes de riz. Les historiens voient dans ces représentations des prières pour une bonne récolte.
Histoire mythologique du Japon ancien, le Nihon Shoki (Annales du Japon, rédigées en 720) mentionne la libellule, alors appelée akitsu. Les Annales rapportent également que le premier empereur Jimmu Tenno ayant gravi une petite montagne du Yamato (aujourd’hui Préfecture de Nara) laissa errer son regard sur ces terres qu’il gouvernait, pour déclarer : “Mon pays a la forme de deux akitsu accouplés.”
Les Annales décrivent également un incident prodigieux survenu à l’Empereur Yuryaku Tenno, vingt et unième de la lignée, alors qu’il chassait sur la lande de Yoshino (Sud de l’actuelle Préfecture de Nara). Un taon s’était posé sur l’auguste bras qu’il s’apprêtait à piquer cruellement. Une libellule qui volait par là, alarmée, fondit à ailes racourcies sur l’impertinent et l’emporta dans les airs. Ce service emplit d’aise l’Empereur, à telle enseigne qu’il décréta que la région s’appellerait désormais “Akitsu-no”, la “Plaine de la Libellule”. Et les Annales d’ajouter que de cet incident date l’appellation de “Akitsu Shima” (Les Îles des Libellules) qui est une ancienne désignation du Japon.
La libellule était donc considérée comme un kachi-mushi (insecte victorieux) porteur de chance et de bonheur, peut-être depuis cet épisode du combat avec le taon. Et c’est depuis ce temps que l’on vit des heaumes de preux samouraïs ou des casques de piétaille, armoiries familiales et autres objets encore, s’orner du dessin ou du motif schématisé de la libellule victorieuse et d’heureux augure.
Dans un recueil remontant à la fin du XIIe siècle nous retrouvons une chanson expliquant comment capturer les libellules, car les enfants japonais se livrent joyeusement à cette chasse depuis des siècles. Ils les observent attentivement, découvrent leurs mœurs et inventent des procédés pour les capturer. Un de ceux-ci est détaillé dans la première encyclopédie illustrée du Japon, publiée au début du XVIIIe siècle par Terajima Ryoan sous le titre Wakan Sansai Zue (Collection Illustrée sino-japonaise des trois Éléments de l’Univers). L’illustration nous montre Dame Libellule attachée par un fil à un court bâton pour servir d’appât à Monsieur Libellule. Jusqu’à tout récemment cette méthode dite otori-dori, était extrêmement populaire chez les gosses, qui utilisaient une gin-yamma argentée, ou quelque autre variété de libellule de grande taille.
Autre stratagème de capture : le hikkake-dori. On emballe deux petits cailloux dans deux menues pièces de tissu que l’on attache ensuite aux deux extrémités d’un fil de 60cm de long. On lance ce dispositif en direction d’une gin-yamma argentée qui croit voir se précipiter sur elle une proie facile à dévorer. Las, les ailes (elles en possèdent quatre bien grandes comme un petit hélicoptère) bientôt emberlificotées dans le fil, elle tombera à terre et deviendra elle-même proie facile pour les gosses.
La gin-yamma et autres grandes libellules ne se rencontrant plus trop fréquemment ces dernières années, principalement en raison de la dégradation de son habitat naturel, l’on ne voit plus guère ces joyeuses bandes d’enfants la pourchassant. Il reste à souhaiter que les techniques traditionnelles de capture de la libellule, imaginées par l’observation des mœurs de cet archiptère, continueront à vivre et se transmettre aux générations futures.
Mais nous continueront vraisemblablement à entonner Aka-tombo (Libellule Rouge), cette adorable chanson d’enfants, écrite en 1921. D’ailleurs, dans le cadre des activités de sauvegarde de l’environnement, nombreux sont les groupes qui ont mis à la mode l’aménagement de petites pièces d’eau pour y attirer les libellules. Nous souhaitons donc de tout cœur que cette “culture de la libellule ”, unique au Japon, continuera de vivre dans les siècles à venir.
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